jeudi 8 décembre 2016

Sortie du roman La Marquise aux poisons, chez Evidence Editions, dans la collection Electrons Libres.

La Marquise aux poisons, roman historique sur le terrible parcours de la marquise de Brinvilliers (objet d'un article de ce blog), est sorti le 26 avril 2017 chez Evidence Editions, dans la collection Electrons Libres.


RésuméLe parcours de l'une des criminelles les plus célèbres de l'Histoire. Dévorée par son amour pour le chevalier de Sainte-Croix, Marie-Madeleine d'Aubray, marquise de Brinvilliers, mène un train de vie dispendieux. Prête à tout pour satisfaire les goûts de luxe de son amant, et manipulée par un homme sans scrupules, elle sera emportée dans un engrenage meurtrier, marquant d'un voile noir le règne du Roi Soleil.


Le livre est disponible sur la boutique en ligne Evidence Editions (format papier : 16e / Epub : 5.99 e)


Le livre est également disponible sur Amazon, Fnac, espaces culturels Leclerc, ou chez votre libraire sur commande.

Si vous souhaitez consulter la page Facebook du roman (articles et anecdotes sur les personnages, lieux et événements historiques liés au livre), c'est par ici. Une manière pour moi de rajouter quelques bonus supplémentaires aux lecteurs ayant apprécié le livre, en plus d'un moyen d'échanger. Car l'écriture est avant tout pour moi un moyen de communiquer et de partager.



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Bonne lecture!

Guillaume L. 

jeudi 31 décembre 2015

Sang, sexe et intrigues : dans le sillage des reines lagides (2/2).

Cléopâtre (détail), par John William Waterhouse (1888).


Partie II- Cléopâtre, un nom maudit?


  Le nom de Cléopâtre est récurrent chez les reines de la dynastie lagide. Nous allons voir qu'en dehors de la célèbre Cléopâtre VII (69-30 av. J.-C.), d'autres se sont distinguées, parfois pour le meilleur, souvent pour le pire. Leurs destinées sont étroitement liées à celle de la dynastie des Séleucides, qui règne en Syrie.
   Elle jouent bien plus qu'un rôle dans le cadre d'alliances matrimoniales entre les deux familles : elles font preuve d'ambition, lèvent des armées, n'hésitent pas à tuer pour assouvir leur soif de pouvoir. Elle font même parfois preuve de plus d'audace face aux représentants masculins de la dynastie, en particulier lorsqu'il s'agit de protéger leurs intérêts au trône.


CLEOPATRE I 


Cléopâtre Syra


  Cléopâtre I Syra ("La syrienne") est la fille du roi séleucide Antiochos III. Afin de sceller la paix entre l'Égypte et les Séleucides, elle épouse le roi Ptolémée V Épiphane, vers 193 av. J.-C. Elle donne au roi deux fils (les futurs Ptolémée VI et Ptolémée VIII) ainsi qu'une fille, Cléopâtre II.

  Lorsque son époux meurt en 180 av. J.-C., Cléopâtre assure le rôle de régente. C'est la première reine de la dynastie à exercer tous les pouvoirs. Elle fait frapper sa propre monnaie, et sur le plan politique, veille à maintenir de bonnes relations avec les Séleucides. Elle meurt vers 177 av. J.-C.


CLEOPATRE II


Tête supposée de Cléopâtre II


 Cléopâtre II Philométor Soteira Évergète ("Fille aimant sa mère, la Bienfaitrice") est née vers 187 av. J.-C. Vers 172 av. J.-C., elle épouse son frère Ptolémée VI. Le roi est fait prisonnier par le roi séleucide Antiochos IV, qui envahit la Basse-Égypte en 170. Dès lors, le peuple d'Alexandrie porte au pouvoir son frère, Ptolémée VIII. La rivalité entre les deux frères suscite l'ingérence de Rome dans les affaires égyptiennes.

  À la mort de Ptolémée VI en 145 av. J.-C., Cléopâtre II fait proclamer son fils Ptolémée VII roi d'Égypte. Mais Ptolémée VIII, souhaitant conserver le trône, épouse la reine, et fait assassiner son neveu. Il procède également à l'élimination et à l'exil de nombreux partisans de son frère, qui avaient marqué leur opposition à son accession au pouvoir. De nombreux intellectuels sont alors forcés de quitter Alexandrie.

  Cléopâtre II lui donne ensuite un fils, appelé Memphites. La situation se complique à partir de 142 av. J.-C, lorsque Ptolémée VIII épouse sa nièce, Cléopâtre III (fille de Cléopâtre II et de Ptolémée VI). Une guerre civile va s'instaurer, attisée par la rivalité entre la mère et la fille. En 132, les habitants d'Alexandrie se soulèvent, et incendient le palais royal. Ptolémée VIII et Cléopâtre III sont contraints de s'enfuir à Chypre, alors que Cléopâtre II en profite pour porter sur le trône d'Égypte son fils Memphites. Comble de l'horreur, Ptolémée VIII parvient à faire capturer son propre fils, et les textes anciens rapportent qu'il fit parvenir son corps démembré à sa mère.

  Pendant la guerre qui l'oppose à son frère-époux et à sa fille, Cléopâtre II s'appuie sur Alexandrie et les intellectuels. Mais Ptolémée VIII profite du soutien du reste de l'Égypte, où il est très populaire. La reine-mère est contrainte de s'enfuir en Syrie, auprès des Séleucides, chez son beau-fils, le roi Démétrios II (époux de sa fille aînée, Cléopâtre Thea). Dans sa fuite, elle prend soin d'emporter avec elle le trésor royal.

  C'est en 123 av. J.-C. que Cléopâtre II rentre d'exil, et se réconcilie avec Ptolémée VIII et sa fille Cléopâtre III. Après la mort du roi en 118, la mère et la fille assureront la régence.


CLEOPATRE THEA


Pièce représentant Cléopâtre Théa et son fils Antiochos VIII. On remarque que contrairement aux usages, c'est le portrait de la reine qui est mis en avant. 


  Née en 165 av. J.-C., elle est la fille de Ptolémée VI et de Cléopâtre II.

  Âgée de quinze ans, son père la marie au roi de Syrie Alexandre Balas. Elle lui donne un fils, le futur Antiochos VI.

  À la suite d'une brouille entre Ptolémée VI et Alexandre Balas, Cléopâtre Thea est remariée au roi séleucide Démétrios II. Or, les deux princes sont en guerre pour le trône de Syrie. Démétrios sort vainqueur du conflit (Balas mourant au combat). Cléopâtre lui donne trois enfants (une fille Laodice, ainsi que les futurs Séleucos V et Antiochos VIII).

  Démétrios II n'étant pas un roi populaire, il est chassé d'Antioche, dans un soulèvement mené par le général Diodote. C'est Antiochos VI, fils du premier mariage de Cléopâtre avec Alexandre Balas, qui est alors porté au pouvoir. Démétrios, qui projette de prendre sa revanche, doit cependant repousser ses projets. En effet, la ville de Séleucie du Tigre tombe au mains du peuple Parthe. En tentant de reconquérir la cité, le roi est fait prisonnier. Le roi parthe Mithridate I le contraint à épouser sa fille Rhodogune.

À Antioche, la situation de Cléopâtre devient précaire : son fils Antiochos VI est assassiné par le général Diodote, qui se proclame roi sous le nom de Tryphon ("Le Magnifique"). Mais la reine sait réagir rapidement, en offrant sa main et le trône à son beau-frère Antiochos VII (frère de Démétrios II). Ce dernier parvient à vaincre l'ambitieux Diodote. De son union avec Cléopâtre, trois enfants voient le jour, dont le futur Antiochos IX.

  Le projet d'Antiochos VII est alors de récupérer son frère Démétrios, toujours prisonnier des Parthes. Pourtant, la campagne est un désastre, et Antiochos VII y laissa la vie. De son côté, Démétrios parvient à regagner la Syrie.

  Démétrios est très mal accueilli à Antioche, toujours aussi impopulaire. C'est à ce moment que sa belle-mère, Cléopâtre II, qui mène une guerre contre son frère Ptolémée VIII se réfugie auprès de lui. Certaines sources rapportent qu'elle lui aurait promit le trône d'Égypte en échange de son soutien. Mais dès que Démétrios a quitté Antioche, la ville se soulève, et son armée se mutine. Tandis que Cléopâtre II regagne Alexandrie, Ptolémée VIII se venge de Démétrios : il soutient un usurpateur, du nom de Zabinas. Ce dernier se fait passer pour un fils d'Alexandre Balas, et prend le pouvoir sous le nom d'Alexandre II (vers 127 av. J.-C.). Battu près de Damas, Démétrios s'enfuit en direction de la cité de Ptolemaïs-Akkè, mais Cléopâtre Thea refuse de lui ouvrir les portes de la ville. Le malheureux roi finit par échouer à Tyr, où il sera tué en 125 av. J.-C.

Après la mort de son père, Séleucos se proclame roi, mais Cléopâtre Théa, lui préférant son fils cadet Antiochos, elle le fait tuer par un archer.

  L'usurpateur Zabinas est éliminé en 122 av. J.-C. par Antiochos VIII. Ce dernier supporte de moins en moins la présence de sa mère, et une rivalité s'installe bientôt entre eux. Les textes rapportent que Cléopâtre aurait tenté d'empoisonner son fils en lui faisant servir à boire, lors de son retour de chasse. Mais méfiant, Antiochos aurait fait boire à sa mère la coupe de poison.

  Cléopâtre Thea fut une reine implacable. Dans l'imbroglio que constitue la dynastie séleucide, elle parvient à jouer un rôle qui n'est pas négligeable. Les pièces la représentant témoignent de sa puissance. Effectivement, le portrait de Cléopâtre y apparaît comme superposé à celui de son fils Antiochos, contrairement à la tradition.


CLEOPATRE III


Tête attribuée à Cléopâtre III (ou Cléopâtre II)


 Cléopâtre III Évergète Philométor Soteira ("La Bienfaitrice, aimant sa mère", un comble lorsqu'on sait la rivalité qui les opposa!) est la fille de Ptolémée VI et de Cléopâtre II, et la soeur cadette de Cléopâtre Thea. Elle est née dans une date estimée entre 160 et 155 av. J.-C. Nous avons vu précédemment, qu'elle épousa son oncle Ptolémée VIII en 142 av. J.-C., ce qui entraîna une guerre civile de plus de dix ans.

   Elle a cinq enfants, de son mariage avec son oncle. À  la mort du roi, elle joue un rôle très important. Possédant une grande influence, elle régit les mariages et divorces de ses enfants, dans le cadre d'alliances matrimoniales.

  En 116 av. J.-C., elle décide de favoriser son plus jeune fils, Alexandre I (le futur Ptolémée X), mais les Alexandrins lui préfèrent son autre fils, Sôter II Lathiros, qui devient roi sous le nom de Ptolémée IX.

 En 107, ce dernier, ne supportant plus la présence de sa mère, tente de l'assassiner. Mais Cléopâtre III parvient à déjouer ses plans, et à le chasser du trône. C'est donc son fils cadet, Ptolémée X, qui récupère le pouvoir. Pourtant, lui aussi ne supporte pas l'influence maternelle. Il n'hésite pas à faire assassiner sa mère en 101 av. J.-C.


CLEOPATRE TRYPHAENA ET CLEOPATRE IV, LES SOEURS ENNEMIES

  Deux des filles de Cléopâtre III et Ptolémée VIII. Elles ont été l'instrument de leur mère dans le cadre d'alliances politiques avec les Séleucides. Cette dynastie étant également en proie à des conflits internes, les deux soeurs vont devenir rivales, se vouant une haine... mortelle.

  Cléopâtre Tryphaena ("La Magnifique") est née vers 140 av. J.-C., elle épouse le roi séleucide Antiochos VIII (vers 116 av. J.-C.), dans le cadre d'une alliance diplomatique menée par Cléopâtre III.
  Sa soeur cadette, Cléopâtre IV, est née vers 138 av. J.-C. Elle épouse son frère Ptolémée IX en 115. Pourtant, ce mariage ne dure pas, car Cléopâtre IV ne supporte pas la présence imposante de leur mère. Elle est donc répudiée, et ne prenant pas le risque d'être assassinée, s'enfuit à Chypre, où elle lève une armée. Elle passe ensuite en Syrie, où forte de son argent et de ses troupes, épouse le roi séleucide Antiochos IX.

  Ce dernier est alors en guerre avec son frère Antiochos VIII, celui-là même qui avait épousé Tryphaena en 116 av. J.-C. D'où la haine qui va s'instaurer entre les deux soeurs...

  En 114, c'est Antiochos IX qui grâce à l'appui de Cléopâtre, remporte la victoire sur son frère. Les époux sont couronnés en grande pompe à Antioche, capitale du royaume séleucide. Pourtant, Antiochos VIII ne tarde pas à reprendre le dessus, et rentre à son tour victorieux à Antioche, en 112.

  Cléopâtre trouve alors refuge à l'intérieur du temple de la cité, mais Tryphaena ordonne de la faire arrêter. Les textes rapportent que comme Cléopâtre s'était attachée les mains à une statue, sa soeur ordonna aux soldats de les lui trancher, afin qu'elle puisse être amenée en dehors du sanctuaire pour y être tuée.

  Ce crime ne profite pas réellement à Tryphaena. La même année, Antiochos IX parvient à reconquérir Antioche. Pour venger son épouse, il capture sa belle-soeur, qu'il immole par le feu, en hommage à sa mémoire.


CLEOPATRE V  SELENE

Tête représentant Cléopâtre V Séléné

  Née vers 130 av. J.-C., elle est la fille de Ptolémée VIII et de Cléopâtre III. Elle est la soeur cadette de Cléopâtre IV et de Tryphaena. Elle a été mariée à de nombreuses reprises. Elle fut ainsi successivement l'épouse de :

Son frère Ptolémée IX (115 av. J.-C.), une fille Bérénice (III) naît de cette union.
Son frère Ptolémée X (109-107 av. J.-C.)
Du roi séleucide Antiochos VIII (102 av. J.-C.) sur ordre de sa mère Cléopâtre III.
De son beau-frère le roi Antiochos IX (96 av. J.-C.)
De son gendre Antiochos X (95 av. J.-C.)

  Elle tente vainement de faire prévaloir auprès de Rome, les droits de ses fils au trône d'Égypte. Elle meurt en 69 av. J.-C.,  capturée et assassinée par le roi arménien Tigrane II.


CLEOPATRE VI 

  Née entre 100 et 95 av. J.-C., elle serait la fille de Ptolémée X et de Bérénice III. Elle épouse le roi Ptolémée XII en 79 av. J.-C. Elle est lui donne une fille, Bérénice IV (née vers 76). On ne sait pas si elle est également la mère des autres enfants du roi, à savoir les futurs Ptolémée XIII et XIV, ni de Cléopâtre VII et Arsinoé IV.

 Ce qui est avéré, c'est que lorsque son époux Ptolémée XII est chassé d'Alexandrie et contraint de se réfugier à Rome, elle aide sa fille Bérénice IV à s'emparer du trône. Elle règne conjointement avec elle, jusqu'à sa mort en 57 av. J.-C.

ET LES AUTRES? 

  D'autres princesses lagides n'ont pas été mentionnées dans le détail :

Bérénice III (morte en 80 av. J.-C.), qui épousa son cousin le roi Ptolémée IX en 80 av. J.-C. Ce dernier la fit assassiner peu après leur mariage. Mais la reine était populaire à Alexandrie, et le peuple n'hésita pas à assiéger le palais pour mettre le roi à mort.

Bérénice IV (76-55 av. J.-C.) : fille aînée de Ptolémée XII (et soeur ou demi-soeur de Cléopâtre VII). On a vu plus haut qu'elle profite de l'exil de son père à Rome pour s'emparer du trône avec l'aide de sa mère. Elle règne trois ans sur l'Égypte (de 58 à 55 av.J.-C.). Mais Ptolémée XII est rétabli au pouvoir avec l'aide de Rome. Sitôt entré dans Alexandrie, il ordonne l'exécution de sa fille aînée.

Arsinoé IV (67-41 av. J.-C.) : fille de Ptolémée XII et soeur cadette de Cléopâtre VII. Lorsque Ptolémée XIII se soulève contre Jules César à Alexandrie, elle est proclamée reine. Mais suite à la victoire des Romains et le rétablissement de sa soeur Cléopâtre sur le trône, elle est emmenée pour figurer au triomphe de César. Elle est cependant épargnée, et part en exil à Éphèse, où elle réside dans le sanctuaire du temple d'Artémis. Elle n'a alors plus aucune prétention au trône d'Égypte. Pourtant, Cléopâtre la considère toujours comme une menace. En 41 av. J.-C. elle obtient d'Antoine son assassinat.


  Les biographies des dernières Cléopâtre sont difficiles à établir. Il en est de même pour les rois. Les derniers règnes des rois Ptolémées sont marqués par des violences, des remariages incessants, des rivalités pour s'accaparer un pouvoir qui s'émiette de générations en générations. Progressivement, la dynastie se ruine dans les guerres avec les Séleucides (cette dynastie est elle-même annexée à Rome en 64 av. J.-C.). Les Romains, sollicités pour arbitrer les querelles familiales, étendent progressivement leur influence. C'est avec le règne de Cléopâtre VII, que l'Égypte des Ptolémées va connaître un dernier sursaut.  Ce qui n'empêchera pas le pays de devenir une province romaine en 30 av. J.-C.












mercredi 30 décembre 2015

Sang, sexe et intrigues : dans le sillage des reines lagides (1/2).

 
Mosaïque de Thmouis (détail) représentant probablement Arsinoé III. Alexandrie, musée gréco-romain.


Partie I - Les Bérénice et les Arsinoé.

   Pour faire suite à l'article précédent, nous évoquons cette fois les autres femmes de la dynastie lagide, qui ont précédé Cléopâtre. Car six autres reines ont porté ce nom auparavant. À cela, s'ajoutent plusieurs Bérénice et Arsinoé. Nous allons voir que les femmes de cette dynastie ont joué un rôle non négligeable. Rappelons que contrairement aux moeurs égyptiennes où la femme possède une relative indépendance en dehors de la tutelle du père et du mari, la cour des Ptolémées fonctionne sur le modèle grec. Par conséquent, la femme n'est pas censé avoir de pouvoir véritable. Dans les faits, nous allons le voir, les choses sont bien différentes.

  Un bref aparté concernant la dynastie des Ptolémées : l'historiographie souligne -à juste titre- la décadence et les crimes perpétrés au sein de la famille. Pourtant, les Lagides s'inscrivent dans leur époque. Le monde à cette époque est violent, et nombre d'autres familles royales (les Agréades de Macédoine, les Séleucides,...) n'ont rien à leur envier en matière d'intrigues de palais et d'assassinats.
Ainsi, les Ptolémées furent tour à tour des rois puissants et respectés, des tyrans sanguinaires, des hommes intelligents ou dépravés, les deux ensemble parfois. Il ne faut pas oublier qu'en dehors des complots divers, Alexandrie reste sans nul doute l'une des plus grandes villes du monde antique, attirant de nombreux savants et érudits avec sa Grande Bibliothèque, possédant l'une des sept merveilles du monde avec son Phare, et symbolisant une culture hellénistique raffinée dans une symbiose entre héritage grec et culture égyptienne.


EURYDICE

  Eurydice est la fille d'Antipater, le régent de Macédoine après la mort d'Alexandre le Grand. Elle épouse Ptolémée en 321 av. J.-C. Elle lui donne deux filles, Lysandra et Ptolémais, ainsi que deux fils, Ptolémée Kéraunos et Méléagre. Au bout de quelques années, elle est répudiée par Ptolémée, qui épouse l'une de ses suivantes, Bérénice.
  Eurydice vit ensuite à Milet, avec ses enfants, qui ont été exclus de la succession au trône d'Égypte au profit des enfants que Bérénice à eût avec Ptolémée (qui prend le titre de roi en 305 av. J.-C. avec le surnom de Sôter, le Sauveur).

BERENICE I

Monnaie à l'effigie de Ptolémée I et Bérénice 

   Née vers 340 av. J.-C. et d'origine macédonienne, Bérénice serait selon certaines sources, la cousine et la suivante d'Eurydice. D'un premier mariage avec un noble macédonien, elle a trois enfants. À la mort de son époux, elle vit à Alexandrie. Ptolémée tombe alors amoureux d'elle, et répudie Eurydice pour l'épouser vers 316 av J.-C. 
  Elle donne trois enfants à Ptolémée : Arsinoé II (née en 316 av. J.-C.), Philotera (née entre 315 et 309 av. J.-C.) et  Ptolémée II Philadelphe (né en 309 av. J.-C.), qui sera associé par son père au pouvoir. Elle veille à ce que les enfants donnés par Eurydice à Ptolémée soient écartés de la succession au trône.
  Bérénice peut être considérée comme la première reine de la dynastie. Elle est représentée sur certaines monnaies aux côtés de son époux. Elle meurt vers 282 av. J.-C., et après sa mort, sera incorporée au culte dynastique aux côtés de son époux.

ARSINOE I

   Arsinoé est la fille du roi de Thrace Lysimaque. Elle est née vers 308 av. J.-C. Afin de sceller l'alliance entre la Thrace et l'Égypte contre le roi Séleucide Séleucos I Nicâtor, elle épouse vers 284 le roi Ptolémée II. Cependant, sa belle-soeur Arsinoé II l'accuse de formenter un complot. Elle est répudiée par le roi en 278 av. J.-C., et forcée de vivre exilée à Coptos. Elle a donné à son fils trois enfants : le futur Ptolémée III, Lysimaque qui deviendra gouverneur de Coptos, ainsi qu'une fille du nom de Bérénice.

ARSINOE II


Monnaie à l'effigie d'Arsinoé II

Statue supposée d'Arsinoé II

Statue d'Arsinoé II 



  Arsinoé II est la fille de Ptolémée I Sôter et de Bérénice I. Elle est née en 316 av. J.-C. Avec Cléopâtre VII, elle est certainement la reine la plus connue de la dynastie. Au cours de sa vie mouvementée, elle a prit part à de nombreuses intrigues. Vers 300 av. J.-C., à l'âge de 16 ans, elle est donnée en mariage au roi thrace Lysimaque, d'au moins trente ans son aîné. Elle lui donne trois fils. Le roi, très amoureux d'elle va rebaptiser plusieurs villes en son honneur. À la cour, Arsinoé retrouve sa demi-soeur Lysandra (fille de Ptolémée I et d'Eurydice), qui est l'épouse d'Agathocle, le fils de... Lysimaque, né d'un mariage antérieur.
  Arsinoé souhaite assurer la succession du trône à son fils aîné. Agathocle lui apparaît donc comme une menace. Elle réussit à persuader le roi que son fils complote contre lui. Ainsi, Lysimaque n'hésite pas à faire emprisonner et condamner à mort son propre fils.
  Face aux intrigues de sa demi-soeur (et belle-mère), Lysandra s'échappe avec une partie de son entourage, et finit par se réfugier en Syrie, à la cour du roi Séleucos I Nicâtor. Ce dernier entre en guerre contre Lysimaque, et le vainc à la bataille de Couroupédion, en 281 av. J.-C. Le roi thrace est alors tué. Arsinoé se réfugie à Cassandréia, où elle prend le commandement de la garnison.
 Elle est ensuite obligée d'épouser son demi-frère Ptolémée Kéraunos (fils de Ptolémée I et d'Eurydice), qui souhaite par là légitimer son accession au trône. Il ne prend pas de risque : il fait immédiatement assassiner les fils qu'Arsinoé a eu avec Lysimaque. Seul l'aîné parvient à s'échapper du massacre avec sa mère.
  Arsinoé II finit par regagner l'Égypte en 279 av. J.-C. C'est alors son frère Ptolémée II, qui est sur le trône. Rappelons que ce dernier est alors marié à Arsinoé I, la fille du défunt Lysimaque. Avec les intrigues menées par sa belle-soeur, Arsinoé I est accusée de comploter contre le roi son époux. Ptolémée la fait exiler à Coptos. Vers 277 av. J.-C., Arsinoé II et son frère Ptolémée II se marient. Le roi aura par la suite le surnom de Philadelphe, "celui qui aime sa soeur". Ce mariage a avant tout une portée politique et religieuse (les Ptolémées doivent entre autres s'assurer le soutien du clergé égyptien), et l'influence d'Arsinoé à la cour n'est pas négligeable. C'est l'époque où la dynastie des Ptolémées est puissante, l'époque où Alexandrie accueille la Grande Bibliothèque et le Phare, l'une des sept merveilles du monde.
  Arsinoé figure sur plusieurs pièces de monnaie, et dans les statues égyptiennes, apparaît comme l'équivalent d'un pharaon. Elle est même divinisée de son vivant, son culte étant associée à celui d'Aphodite, déesse grecque de la beauté. Elle meurt vers 270 av. J.-C.

BERENICE II


                               Statue représentant Bérénice II de Cyrène

  Bérénice II (aussi appelée Bérénice de Cyrène) est la fille de Magas, roi de Cyrène. Sa date de naissance est comprise entre 276 et 267 av. J.-C. Elle est mariée en premières noces avec le prince macédonien Démétrios Kallos, désigné pour régner sur Cyrène. Mais ce dernier devient l'amant de la reine Apama, la propre mère de Bérénice. D'après les textes anciens, Bérénice n'aurait pas hésité à faire assassiner son époux, en 247 av. J.-C., ce qui laisse présumer son caractère.
  En 246, elle épouse le roi d'Égypte Ptolémée III. Elle lui donne deux fils : le futur Ptolémée III et Magas. Une légende rapporte que lorsque son époux partit guerroyer en Syrie, elle fit voeu de sacrifier sa chevelure à la déesse Aphrodite, afin qu'il lui revienne sain et sauf. Elle ordonna également la construction d'un temple dédié à Bubastis, déesse égyptienne de la maternité.
  Après la mort de Ptolémée III, elle est assassinée par son propre fils, Ptolémée IV, qui sous l'influence de ses ministres Sôsibios et Agathoclès, décide de supprimer tous les membres de sa famille pouvant lui faire obstacle au trône.

ARSINOE III


Monnaie à l'effigie d'Arsinoé III


  Née en 246 ou 245 av. J.-C., elle est la fille de Ptolémée III et de Bérénice de Cyrène. En 220 av. J.-C., selon la tradition, elle épouse son frère Ptolémée IV. Un an auparavant, ce dernier a fait éliminer l'ensemble des membres de sa famille jugés potentiellement dangereux pour son maintien au pouvoir. Ptolémée IV est un roi en grande partie dominé par ses ministres, dont le redoutable Sôsibios, ainsi que sa maîtresse, Agathocleia. Pourtant, Arsinoé est amené à jouer un rôle de premier plan. Lorsque Ptolémée IV part lutter contre le roi séleucide Antiochos I le Grand (bataille de Raphia, en 217), elle prend place à la tête de l'infanterie et de la cavalerie.
  En 204 av. J.-C., à la mort de Ptolémée IV, elle devient régente pour son fils Ptolémée V (alors âgé de six ans). Elle disparaît peu après. Les causes de sa mort restent incertaines. Certaines sources indiquent qu'elle serait décédée dans un incendie qui ravagea le palais. Il n'est pas impossible non plus que Sôsibios et Agathocleia aient conspiré pour la faire assassiner.















lundi 28 décembre 2015

Les mille et un visages de Cléopâtre. 69-30 av. J.-C


  Cléopâtre (69-30 av. J.-C) est sans nul doute l'un des personnages les plus célèbres de l'Antiquité. Dans l'imaginaire collectif, elle représente l'archétype de la reine égyptienne. Elle est connue pour sa beauté légendaire, et pour ses aventures amoureuses. Elle symbolise l'attrait et les charmes de l'Orient, de l'Égypte mystérieuse, aux même titre que les pyramides et le Sphinx de Gizeh... Stop aux idées reçues! La véritable Cléopâtre n'a vraisemblablement rien à voir avec cette image de reine égyptienne qui a traversé les siècles, et qui relève -nous allons le voir- d'une propagande romaine hostile, qui a réduit cette femme au rang d'une créature ensorceleuse. Pour autant, il est difficile de cerner le personnage de Cléopâtre. Son physique en particulier, a toujours fasciné, et pour le coup, reste nimbé de mystère Après avoir revu rapidement sa biographie, nous nous attarderons sur ses représentations, et sur l'évolution de son image à travers les siècles.


               Cléopâtre essayant des poisons sur des condamnés à mort (détail), Alexandre Cabanel, 1887  (Koninklijk Museum voor Schone Kunsten d'Anvers).

- Sa biographie :

  Cléopâtre est la fille du roi Ptolémée XII dit Aulete ("le joueur de flûte"). Elle naît en 69 av. J.-C. à Alexandrie, capitale de l'Égypte depuis la fondation de la dynastie des Ptolémées en 305 av. J.-C. Cette famille descend de Ptolémée, un général macédonien, proche d'Alexandre le Grand.
  Alexandrie est avant tout une cité grecque, et va devenir l'une des plus grandes villes du monde antique. Outre ses merveilles (La Grande Bibliothèque et le Phare), elle regroupe une population variée (Grecs, Égyptiens, Juifs, etc.). En plus d'être un important pôle culturel, elle est également une plaque tournante du commerce en méditerranée.

   D'abord brillante, la dynastie lagide va peu à peu s'affaiblir, notamment à cause de querelles dynastiques et d'une lutte récurrente contre la royauté des Séleucides (dynastie d'origine macédonienne qui englobe des territoires de la Syrie jusqu'à Babylone).
  Lorsque Cléopâtre vient au monde, l'Égypte est un pays en crise, en proie à de nombreux conflits  internes, et qui doit composer avec la présence romaine, qui s'étend en Méditerranée. Ainsi, chassé du trône à la suite d'une révolte, son père n'est rétabli sur le trône que par l'ingérence des Romains.

  À sa mort, en 51 av. J.-C., Cléopâtre, âgée de dix-sept ans, épouse son frère cadet Ptolémée XIII (âgé de dix ans), suivant la tradition pharaonique perpétrée par la famille. Cependant, des intrigues de palais menées par les ministres du jeune souverain, l'obligent à fuir d'Alexandrie.

  En parallèle, la Méditerranée est en proie à une guerre civile entre les consuls romains Jules César et Pompée. Ce dernier, vaincu par son rival, arrive en Égypte, espérant solliciter l'appui de ses souverains.

Sur les conseils de ses ministres, Ptolémée XII ordonne de tuer le consul romain. Il espère ainsi entrer dans les bonnes grâces du vainqueur. Lorsque Jules César arrive à son tour à Alexandrie, on s'empresse ainsi de lui présenter la tête de Pompée. Loin d'être ravi, il se montre furieux, d'une mort qu'il juge indigne.

  De plus, César tente alors d'obtenir le remboursement des dettes contractées par Ptolémée XII. Il lui est donc indispensable que le couple royal mette fin à ses querelles. Cléopâtre, qui parvient à rejoindre Alexandrie (la légende rapporte qu'elle parvint au palais enroulée dans un tapis, et déposée aux pieds de César), accepte la décision du Romain, mais Ptolémée XII refuse ce compromis. À la tête de son armée, il parvient à encercler César dans Alexandrie. Il est finalement vaincu et tué lors d'une bataille sur le Nil.

  Cléopâtre est ainsi rétablie par César sur le trône d'Égypte. Elle épouse un autre des ses frères cadets, Ptolémée XIV.

  Vers 46 av. J.-C., les souverains sont conviés par César à Rome. Il y résident jusqu'à l'assassinat du consul en 44 av. J.-C.

  De retour en Égypte, Cléopâtre fait assassiner son frère, et se proclame régente au nom de son fils Césarion (le futur Ptolémée XV), dont elle attribue la paternité à Jules César. Dans les faits, elle règne donc en autonomie.

  En 41 av. J.-C., Cléopâtre est convoquée par le général romain Marc-Antoine à Tarse, en Asie Mineure (Turquie actuelle). À la mort de César, ce dernier s'est partagé les provinces romaines avec Octavien, petit-neveu et successeur officiel de César. Ensemble, les deux hommes ont vaincu ses meurtriers.

  Une liaison de plus de dix ans s'installe entre Cléopâtre et Marc-Antoine. Entre 40 et 37 av. J.-C., la reine lui donne trois enfants. L'alliance d'Antoine avec Cléopâtre lui permet de financer ses troupes et de mener plusieurs campagnes en Orient, même si la campagne menée contre les Parthes en 36 av. J.-C. est un échec.

  Rome ne voit pas d'un bon oeil cette alliance, et Octavien critique vivement l'attitude d'Antoine. La rupture est consommée en 34-33 av. J.-C., lorsque Antoine répudie son épouse Octavie, soeur d'Octavien.

  Il épouse Cléopâtre, et associe plusieurs territoires à l'Égypte. Antoine a alors vraisemblablement pour but de renforcer son alliance avec la reine, afin de consolider sa présence en Orient.

  La propagande menée par Octavien à Rome, présente Cléopâtre comme une ensorceleuse et Antoine comme un dépravé, ce qui à pour but de le discréditer auprès du Sénat, et d'entraîner une déclaration de guerre de Rome contre l'Égypte, en 32 av. J.-C.

  L'affrontement décisif se déroule en Grèce, dans le promontoire d'Actium. Antoine et Cléopâtre sont vaincus sur mer. Mais c'est probablement la défection de nombre de leurs alliés qui les obligent à regagner Alexandrie. Cléopâtre tente en vain d'organiser la défense de l'Égypte.

  Leurs négociations avec Octavien échouent, et Antoine se suicide en 30 av. J.-C., peu après l'arrivée du vainqueur à Alexandrie (suite peut-être à une fausse annonce de la mort de Cléopâtre).

  La reine est aussitôt confinée dans son palais, sous surveillance. Les conditions de sa mort restent mystérieuses. Elle se suicide vraisemblablement à son tour, afin de ne pas figurer à Rome au triomphe d'Octavien. Les théories divergent quant au moyen utilisé (poison, vipère aspic). Certains historiens pensent également que Cléopâtre fut contrainte par Octavien au suicide, ce dernier ne voulant pas prendre le risque de la laisser en vie.

  Ce dernier fait de l'Égypte une province romaine. Il met à mort Ptolémée XV Césarion, le fils supposé de Cléopâtre et de Jules César. Les enfants de la reine et d'Antoine sont envoyés à Rome, et son élevés par sa soeur Octavie. Par la suite, Octavien prendra le nom d'Auguste, et deviendra le premier empereur romain.

- La légende autour de Cléopâtre

  De son vivant, et après sa mort, Cléopâtre a déjà suscité bien des commentaires de la part de ses contemporains. Il faut savoir que l'histoire qui nous est parvenue, est celle écrite par les vainqueurs, les Romains en l'occurrence. Il faut savoir également que l'historiographie romaine est largement défavorable à Cléopâtre. Cette image négative est due en grande partie à la propagande de guerre générée par Octavien.

On retrouve cette image chez plusieurs auteurs de l'Antiquité :

Tombé amoureux de Cléopâtre qu'il avait vue en Cilicie, il n'eut plus aucun souci de son honneur, devint l'esclave de l'Égyptienne et consacra tout son temps à son amour. Cette passion lui fit commettre beaucoup d'actes insensés. (Dion Cassius)

Cette ambitieuse et avare princesse, après avoir si cruellement persécuté ceux de son sang qu'il n'en restait plus un seul en vie, tourna sa fureur contre les étrangers. Elle calomniait auprès d'Antoine les plus qualifiés d'entre eux et le portait à les faire mourir afin de profiter de leurs dépouilles. (Flavius Josèphe)

Une putain couronnée (regina meretrix). (Pline l'Ancien)

Que dire de cette femme qui, naguère, apporta l'opprobre à nos armes, de cette prostituée qui s'offrait à ses esclaves et qui, pour prix de ses faveurs, exigeait de son impudique époux qu'il ouvrît les portes de Rome et rangeât sous son empire le Sénat? (Properce)

Malheureusement, c'est cette image négative qui a perduré à travers les siècles. De nos jours, même si l'historiographie moderne tend à la réhabiliter, Cléopâtre reste associée à de nombreuses idées erronées.

 Sans rentrer dans le détail, le personnage a été repris de mainte fois en littérature (Antoine et Cléopâtre, de William Shakespeare), en peinture et en sculpture, au théâtre et cinéma. Les représentations de Cléopâtre ont varié selon les époques. Les peintures de l'époque moderne (XVIe et XVII e siècles) la représentent ainsi souvent au moment de sa mort, joignant une touche d'érotisme. C'est à partir de cette période qu'apparaît l'image de Cléopâtre mordue au sein par le serpent .

La mort de Cléopâtre, par Giovanni Ricci (1525), musée du Louvre, Paris.


La mort de Cléopâtre (détail), par Alessandro Turchi (vers 1640), musée du Louvre, Paris.


Au XIXe siècle, la peinture reprend le personnage de Cléopâtre dans une imagerie de toc oriental, qui tient plus de la mauvaise reconstitution, que de la vérité historique. Naturellement, Cléopâtre y figure en égyptienne.


   La mort de Cléopâtre, par Jean-André Rixen (1874), musée des Augustins, musée des beaux-arts de Toulouse.

              La mort de Cléopâtre, par Reginald Arthur (1892), Roy Miles Gallery de Londres.

  Au XXe siècle, le théâtre, le cinéma et la télévision s'emparent de Cléopâtre, la présentant sous le même aspect : celui d'une reine typiquement égyptienne. L'actrice la plus connue ayant interprété le personnage étant très certainement Elizabeth Taylor, dans le film de 1963.


         Elizabeth Taylor, Cléopâtre du film de Joseph L. Mankiewicz.


 - La véritable Cléopâtre

  D'une part, pour couper court, Cléopâtre n'est pas égyptienne. Sa famille descend de Ptolémée, l'un des généraux d'Alexandre le Grand. Elle est d'ailleurs la septième de la dynastie à porter ce nom. Cléopâtre a reçu une éducation grecque. Plutarque rapporte qu'elle parlait plusieurs langues, dont l'égyptien (langues qu'aucun des autres souverains de la dynastie ne connaît). Il est vraisemblable qu'elle ait reçu une éducation de choix, surtout pour une femme de cette époque. Ainsi, il est fort probable qu'elle était vêtue à la grecque, tunique de lin et bandeau -symbole de royauté- dans les cheveux, plutôt que de la traditionnelle couronne égyptienne. Bien qu'Alexandrie soit une ville cosmopolite, et que la cour ait sans doute récupéré des éléments culturels propres à l'Égypte, elle n'en restait pas moins une cité grecque.
  Lors de cérémonies officielles, Cléopâtre devait apparaître habillée en tenue égyptienne, mais l'image qu'elle souhaitait donner en premier lieu, était celle d'une souveraine hellénistique, grecque avant tout, ainsi qu'en témoignent les pièces de monnaie à son effigie, diffusées en Méditerranée.

Une représentation de Cléopâtre sur l'une des façades du temple d'Hator à Dendérah. 


                           Pièce de monnaie à l'effigie de Cléopâtre (vers 36 av. J.-C.)


       Cette image de l'égyptienne est donc due à la propagande romaine, qui vise à dépouiller Cléopâtre de ses qualités (l'éducation, le savoir grec) pour la parer des charmes de l'Orient (en opposition avec l'Occident romain). Effectivement, Cléopâtre dut susciter bien de l'inquiétude à Rome : une femme au pouvoir (même si en réalité régente au nom de son fils Césarion), intelligente et cultivée de surcroît. Nul besoin de faire d'elle une créature ensorceleuse pour la mettre en opposition avec la matrone romaine -supposée vertueuse- confinée dans l'enceinte du foyer.


- La beauté de Cléopâtre, un mythe?

  Une grande tendance actuelle est d'affirmer que Cléopâtre était une femme laide, et que sa beauté à été enjolivée par les auteurs romains pour en faire la femme fatale dont s'est emparé l'imaginaire collectif. Effectivement, les pièces de monnaies nous présentent une reine aux traits lourds, au nez en bec d'aigle. Il serait erroné de faire de Cléopâtre une beauté fatale, même si les pièces de monnaie nous donnent une idée de son aspect.


                                     Monnaies représentant Cléopâtre.


Les statues supposées de Cléopâtre, bien qu'idéalisés, confortent cette représentation

Buste de Cléopâtre, Altes Museum, Berlin


                              Portrait de Cléopâtre VII, musée des antiquités de Turin


             La question de la beauté de Cléopâtre n'a pas lieu de se poser. Ce qui est certain, c'est que c'est son génie politique qui lui permit de survivre, d'accéder au trône, et de faire perdurer la dynastie lagide le temps d'un règne qui dura vingt ans. Pourtant, dans cette histoire écrite par les vainqueurs, une femme n'a en sa possession que ses charmes, associés si possible à une ambition démesurée pour pouvoir s'élever. Et il est clair qu'au cinéma, une Cléopâtre aux attributs égyptiens et à la pose lascive est plus accrocheur qu'une Cléopâtre grecque intellectuelle (ce qui ne retire en rien sa beauté supposée). Il n'en reste pas moins que malgré sa célébrité, cette reine aux mille et un visages reste difficile à cerner.





















vendredi 17 juin 2011

Léonora Galigaï, des arcanes du pouvoir à l'échafaud. 1571-1617

De son véritable nom Léonora Dori, mais appelée généralement du nom de Galigaï, nous allons aborder dans cet article un personnage sombre de l'Histoire de France. Cette femme, haïe de son vivant, née vers 1571 à Florence, en Italie, était l'amie d'enfance et la dame d'atour de la reine Marie de Médicis. On se souvient d'elle pour deux raisons principales : elle aurait eut une forte influence sur l'épouse d'Henri IV, et aurait dilapidé avec son époux Concino Concini, maréchal d'Ancre, le royaume de France pendant la régence précédent la majorité du roi Louis XIII. Lorsque ce dernier arriva au pouvoir, Léonora fut accusée de sorcellerie et son époux fut assassiné. L'historiographie nous a généralement laissé le portrait d'une femme calculatrice et impitoyable, qui aurait eu une influence néfaste sur Marie de Médicis et sur le royaume de France. Seul Richelieu, dans ses Mémoires, lui reconnaît une grande intelligence et un grand courage lors des derniers instants de sa vie (soulignons cependant que Concino Concini, époux de Léonora, participa à l'élévation du cardinal). Qu'en est-il donc réellement de celle que l'on surnomme couramment la Galigaï?


                       Léonora Galigaï par François Quesnel, musée de Rennes

Léonora Dori est née à Florence vers 1571. Elle grandit à partir de 1584 au palais Pitti avec Marie de Médicis, fille du grand duc de Toscane. Léonora fait alors office de camarade de jeu et de dame de compagnie auprès de la princesse. Ses origines sont mal connues. Bien que possédant le nom de Galigaï, celui d'une famille de la noblesse florentine, il semblerait que Léonora soit en fait la fille d'un menuisier français, Jacques de Bastein, et de l'Italienne Catherine Dori.

D'après les témoignages de ses contemporains, Léonora n'est pas belle. Le portrait de François Quesnel, la représentant nous montre une femme aux cheveux sombres, mais dont les traits du visage sont fins et assez agréables. Par laide, il faut sans doute comprendre que Léonora, mince et de petite taille, ne correspond pas aux critères de beauté de l'époque, où l'on apprécie la blondeur et les femmes en chair, comme Marie de Médicis notamment.



                                 Marie de Médicis, par François Pourbus, 1610


Lorsque Marie Médicis épouse le roi Henri IV en décembre 1600, Léonora la suit en France. Lors du voyage, elle fait la rencontre d'un certain Concino Concini (1575-1617), issu de la noblesse italienne et tombe sous son charme. Ce dernier posséde alors une réputation d'aventurier et d'homme sans scrupules, raison pour laquelle Marie de Médicis voit d'abord d'un mauvais oeil cette iddyle.

A la Cour de France, Léonora devient la dame d'atour de Marie de Médicis. Elle est ainsi chargée de l'habillage et de la coiffure de la reine. Cependant, Henri IV n'apprécie pas beaucoup la suivante de son épouse, qui ne possède pas d'origines nobles. Ceci change lorsque Léonora épouse Concino Concini, intégrant ainsi la noblesse.

Installée au Louvre dans un appartement de trois pièces (qui communique avec ceux de Marie de Médicis), Léonora dispose de revenus confortables. Comme le mariage avec Concino s'est effectué sous le régime de la séparation de biens, la jeune femme dispose d'une grande fortune. Elle achète notamment l'hôtel particulier de Picquigny, rue de Tournon, qu'elle fait entièrement réaménager par l'architecte italien Francesco Bordoni.

Leonora a conservé son amitié avec Marie de Médicis, elle demeure sa confidente. D'où une influence qu'elle exercerait sur la reine selon ses détracteurs. Car Leonora et son époux Concino (surintendant de la Maison de la reine) ne sont pas populaires, loin de là. La Cour n'apprécie pas la présence de ces Italiens qui font fortune en France. De plus, si Léonora est une femme discrète, solitaire (elle fréquente très peu la Cour) et qui ne vit pas au dessus de ses moyens, son époux passe en revanche pour un homme prétentieux et arrogant, qui ne manque pas de faire étalage de ses richesses.


                                                         Concino Concini

Léonora aura deux enfants de son mariage : Arrigo (1603-1631) et Camilla (1608-1617).
Cependant, de santé fragile, elle supporte mal le climat de la France. Elle est de plus sujette à de violentes crises que médecins, prêtres et exorcistes ne parviennent pas à chasser. On sait aujourd'hui que la jeune femme souffrait vraisemblablement d'épilepsie. Ce qui en plus de l'isoler, suscita sans doute une plus grande méfiance de ses détracteurs à son égard.

Après l'assassinat d'Henri IV par Ravaillac en mai 1610, la régence fut assurée par Marie de Médicis, en attendant la majorité du futur Louis XIII. C'est à partir de cette période que Concino Concini apparaît comme le favori de la reine. Son ascension est flugurante, puiqu'il devient marquis d'Ancre, premier gentilhomme du roi, puis maréchal de France à partir de 1613. Son influence politique est grandissante, et attise la jalousie de la noblesse française, en particulier celle du duc de Luynes. C'est toutefois grâce aux époux Concini qu'un dénommé Richelieu consolidera son ascension politique.

Qu'en est-il donc de l'influence de Léonora sur Marie de Médicis? L'imagerie populaire nous la montre intriguante et dictant ses moindres volontés à la reine. Or, contrairement à son époux, Léonora fait preuve d'une grande discétion. Si elle intercéda probablement en faveur de l'ascension politique de Concino pendant la régence de la reine, il est en revanche très incertain qu'elle ait eu une influence en matière de politique au niveau du royaume. On peut également affirmer que l'impopularité des Concini était sans doute due à une forme de mépris de la noblesse de la Cour envers leurs origines italiennes -La méfiance envers des étrangers aussi proches de l'entourage de la reine et du pouvoir- mais aussi envers leur ascendance sociale. Léonora est on l'a vue, probablement fille de roturiers, alors que Concino est issu de la petite noblesse italienne. Rien à voir donc avec les grandes familles de la noblesse française.


Lithographie du XIXe siècle représentant Marie de Médicis et les époux Concini

Méprisés par la noblesse, les époux Concini le furent également par Louis XIII, qui ne supportait pas les favoris de sa mère. Il faut dire que ni Concino, ni Léonora ne prirent la peine de s'attirer l'amitié du futur roi de France. Une erreur de jugement qui leur coûtera cher. Petit à petit, Louis XIII, qui arrivait à la majorité, envisageait de se débarasser de Concini. Il élabora alors un complot avec l'aide de plusieurs fidèles, tels que le duc de Luynes et le baron de Vitry, visant à assassiner le maréchal d'Ancre. Il faut cependant préciser que Louis XIII envisageait surtout d'accéder au pouvoir et de mettre fin à la régence de sa mère, ce qui ne pouvait se réaliser que par la mort de l'un des hommes les plus puissants du royaume.

L'assassinat de Concino eut lieu dans la cour du Louvre le 24 avril 1617, d'un coup de pistolet tiré par le baron de Vitry. Son cadavre fut ensuite exhumé de sa tombe par les Parisiens pour être traîné et mutilé dans les rues de la capitale. Marie de Médicis, recluse dans ses appartements du Louvre, fut exilée au château de Blois. Quant à Léonora, n'ayant aucunement bénéficié de la protection de sa maîtresse, elle fut emprisonnée, à l'initiative du duc de Luynes, qui comptait récupérer les fonctions et les biens des époux Concini. Léonora se retrouva donc abusivement accusée de sorcellerie. Transferée à la Bastille, puis à la Conciergerie, son procès s'ouvrit en mai 1617. Elle fut notamment accusée d'avoir ensorcelé l'esprit de la reine. Quant on lui demanda les moyens qu'elle utilisa pour parvenir à ses fins, elle répondit tout simplement la chose suivante : « Je ne me suis jamais servi d'autre sortilège que de mon esprit. Est-il surprenant que j'aie gouverné la reine qui n'en a pas du tout ? »

Sans surprise, Léonora fut condamnée à mort. Elle monta à l'échafaud en place de Grève le 8 juillet 1617. Elle fut décapitée par l'épée avant que son corps ne soit brûlé. L'ancienne confidente et favorite de Marie de Médicis fit alors preuve d'un grand courage. Richelieu l'évoque dans ses Mémoires :

"Son courage aussi constant et ferme comme si la mort lui eût été une récompense agréable et que la vie lui eût tenu lieu d'un supplice cruel. Le cœur le plus envenimé ne put se tenir de fondre en larmes; de sorte qu'il est vrai de dire qu'elle fut autant regrettée à sa mort qu'elle avait été enviée durant sa vie. La seule vérité m'oblige à faire cette remarque, et non aucun désir de favoriser cette femme aussi malheureuse qu'innocente".


                           Exécution de Léonora Galigaï, gravure du XVIIe siècle

Léonora est un personnage des plus ambigus : Sa personnalité d'une part est fascinante, car celle décrite comme une intrigante sans scrupules et avide de richesses n'en démontra pas moins un courage admirable lors de son exécution. C'est probablement cette force de caractère qui lui permit sa formidable ascension sociale. Etrangère, femme de basse extraction, sorcière pour ses détracteurs, on ne peut pourtant que saluer son charme, son intelligence et sa vivacité d'esprit qui lui permirent sans nul doute de mener une vie bien au-delà de ses espérances.

samedi 24 juillet 2010

La Marquise de Brinvilliers, le Grand Siècle et ses poisons. 1630-1676





              Marie-Madeleine de Brinvilliers dessinée par Lebrun le jour de son exécution (1676)

  Notre second portrait  nous ramène au XVIIe siècle, sous le règne de Louis XIV. Nous allons ici aborder le personnage de "la Brinvilliers". Ce nom vous évoque sans doute quelque chose, puisqu'il est lié à l'une des affaires criminelles les plus retentissantes du Grand Siècle. Il s'agit bien là de Marie-Madeleine d'Aubray, marquise de Brinvilliers, dont le nom est indisociablement lié à la fameuse Affaire des poisons, qui ébranla le règne de Louis XIV.

  Pourquoi un tel personnage dans cette galerie consacrée aux femmes illustres? Peut-être parce que en retraçant la vie de cette marquise au destin funeste, on ne peut s'empêcher de voir en elle un symbole de souffrance. Derrière la monstruosité de ses crimes se cache une femme profodément meurtrie.

  Marie-Madeleine d'Aubray est née en juillet 1630. Elle est la fille de Dreux d'Aubray, lieutenant civil à Paris. Elle naît dans une famille convenable, issue de la noblesse de robe, et reçoit une bonne éducation. Pourtant, sa vie a vite fait de basculer, puisqu'elle est violée à l'âge de sept ans par un domestique. Ce drame, qui a détruit son enfance et qui a sans doute énormément joué dans la conduite de sa vie future lui a entretenu une réputation sulfureuse, n'hésitant pas à lui prêter des relations incestueuses avec ses deux frères.

                      Dreux d'Aubray, lieutenant civil de Paris et père de la marquise de Brinvilliers


  En 1651, Marie-Madeleine épouse Antoine Gobelin, qui deviendra bientôt marquis de Brinvilliers. Le couple dispose alors de revenus considérables, avec notamment la propriété des seigneuries de Sains, Norat et Brinvilliers. Les témoignages d'époque décrivent Marie-Madeleine comme une femme petite et très menue, avec de grands yeux bleus, des cheveux châtains et des traits de visage réguliers. Son charme est sans nul doute renforcé par son éducation, plus que correcte. En effet, l'étude de plusieurs lettres écrites par Madame de Brinvilliers montrent une écriture soignée, en plus d'un très bon orthographe. Au XVIIe siècle, ce n'est pas négligeable pour une femme, d'autant plus que la majorité d'entre elles ne savent ni lire, ni écrire (dans le milieu de la noblesse en particulier!)
Marie-Madeleine se lie d'amitié avec Pierre Louis Reich de Penautier, trésorier des Etats du Languedoc (puis receveur général du clergé à partir de 1669.) On peut sans nul doute imaginer qu'elle apparaît comme une jeune femme brillante aux yeux de la bonne société.

  Cependant, elle ne tarde pas à faire la rencontre de Gaudin de Sainte-Croix, officier de cavalerie et ami de son époux, et ils deviennent rapidement amants. Antoine de Brinvilliers pour sa part, dilapide peu à peu la fortune du ménage en jouant au jeu et en entretenant ses diverses maîtresses. Le couple a néanmoins eut sept enfants (dont quatre illégitimes.)

  Toutefois, si la conduite de son époux ne choque pas outre mesure, celle de Marie-Madeleine ne tarde pas à offusquer son père. Au XVIIe siècle, l'adultère masculin est largement toléré, mais il n'en est pas de même pour les femmes, qui se doivent d'avoir une conduite irréprochable. C'est ainsi qu'en 1663, Dreux d'Aubray fait emprisonner Gaudin de Sainte-Croix à la Bastille. Là, il fait la connaissance de l'Italien Exili, expert en chimie et en poisons. Une fois sorti, Sainte-Croix suivra les cours du chimiste Christophe Glaser au jardin royal des plantes.

  On peut imaginer la colère de Marie-Madeleine lorsqu'elle apprend que son amant est emprisonné sur décision de son père. Lui en a t-elle voulu au point de le faire mourir? On ne sait pas réellement qui prit la décision, mais c'est vraisemblablement sous l'influence de son amant que la marquise décide d'empoisonner son père. Elle compte ainsi se libérer de la tutelle paternelle mais vise aussi l'héritage qui lui permettrait de renflouer ses dettes.
Il faut savoir qu'à l'époque, le poison apparait comme une cause de décès difficile à déterminer, puisque la médecine n'est pas encore assez développée.
C'est pendant un séjour au château d'Offémont, en 1666, que Marie-Madeleine avec la complicité d'un valet, administre du poison à son père, et ceci à diverses reprises. Pourtant, la succession paternelle se révèle dérisoire. Peu importe, la marquise décide ensuite d'empoisonner ses deux frères, qui meurent tous deux en 1670, à six mois d'intervalle!


                              Dessin du XIXe siècle représentant la marquise empoisonnant son père.

  Quelques soupçons apparaissent néanmoins. Plusieurs domestiques de madame de Brinvilliers rapporteront plus tard les situations incongrues auxquelles ils ont assisté malgré eux. C'est ainsi qu'un soir, une servante du nom de Jeanne Blanchard, alors qu'elle vient prendre les ordres de sa maîtresse dans sa chambre, la trouve en compagnie du chevalier de Sainte-Croix. La marquise fait malencontreusement tomber une petite boîte et s'exclame alors : "Oh! Ma boîte aux successions!". Sainte-Croix lui reproche alors son manque de discrétion. Un autre jour, suite à un dîner où elle a un peu bu, Marie-Madeleine s'entretient avec une autre de ses servantes, Edmée Huet et lui dit la chose suivante en lui montrant une petite boîte : "Voilà de quoi se venger de ses ennemis; elle est pleine de successions!". Mais elle se reprend peu après : "Bon Dieu! Que vous ai-je dit? Ne le répétez à personne!". Enfin, un jour où Marie-Madeleine s'entretient avec un certain LaChaussée (le valet qui aida à empoisonner ses frères), elle est obligée de le cacher dans sa chambre suite à l'arrivée improviste de Simon Cousté, le secrétaire de l'un de ses frères. Tout ceci bien entendu, sous les yeux des domestiques de la marquise.
En outre, elle commet l'imprudence de se confier à Jean Briancourt, le précepteur de ses enfants.
  D'après des témoignages ultérieurs, Marie-Madeleine aurait ensuite tenté d'empoisonner son époux Antoine de Brinvilliers, sa soeur Thérèse, et même sa fille aînée! Ces dernières tentatives sont cependant sujettes à caution, puisqu'elles ne sont pas prouvées.
Ce qui est sûr en revanche, c'est que la relation entre Marie-Madeleine et Sainte-Croix devient tumultueuse. Ce dernier prend alors soin de fermer dans une petite cassette des fioles et des lettres compromettantes de la marquise. Il y joint un mot : "A n'ouvrir qu'en cas de mort antérieure à celle de la Marquise".
  C'est en 1672 que meurt Jean-Baptiste Gaudin de Sainte-Croix, dans son lit, et non dans son laboratoire comme le veut la légende. Marie-Madeleine, qui est alors dans sa maison de campagne à Picpus n'a alors qu'une obsession : récupérer cette fameuse cassette qui pourrait l'incriminer. Pourtant, elle échoue à récupérer son bien, et après que le sergent Cluet en ait découvert le contenu, la marquise n'a d'autre choix que de s'enfuir, d'autant plus que le roi a lancé contre elle un mandat d'arrêt. L'un des complices, LaChaussée, a été arrêté et sous la menace de la torture, a avoué tous les crimes. Marie-Madeleine se réfugie d'abord en Angleterre, avant de gagner Liège, où elle atterrit dans un couvent. Une servante restée fidèle, Geneviève Bourgeois, l'accompagne dans son périple.

  Colbert, ministre de Louis XIV, est alors chargé d'une mission délicate : rapatrier la fugitive en France. C'est l'exempt de police François Desgrez, qui déguisé, parvient à pénétrer dans le couvent et à faire arrêter madame de Brinvilliers. Désemparée, la marquise tente à plusieurs reprises de se suicider, et se retrouve lors du retour sur Paris, sous une étroite surveillance. Marie-Madeleine est ensuite enfermée à la Conciergerie, au dernier étage de la tour Montgomery.

  Son procès est assez long, puisqu'il se déroule de avril à juillet 1676. Confrontée à ses juges, la marquise nie tout et refuse de passer aux aveux. Il y'a pourtant contre elle des preuves à priori accablantes : une confession écrite de sa main où elle avoue des crimes abominables, et où elle s'accuse entre autres des empoisonnements de son père et de ses frères, de sa relation adultère avec Sainte-Croix -précisant "d'avoir donné beaucoup de bien à cet homme et qu'il m'a ruinée."

  A cela s'ajoute le contenu de la fameuse cassette, et les témoignages de plusieurs domestiques de la marquise (dont certains demeurent toutefois sujets à caution.) Condamnée à subir la question puis à être exécutée, Marie-Madeleine se voit attribuer un confesseur : l'abbé Edme Pirot. Dans ses derniers jours à vivre, elle va alors faire preuve d'une grande piété et va manifester son repentir. On peut le juger sincère, lorsqu'on relit le témoignage que Pirot écrivit par la suite. Bien sûr, la peur de la mort et de la justice de Dieu ont certainement influencé la marquise; elle accepte alors les aveux auprès de ses juges, demande aux gens de la Conciergerie de prier pour elle. Elle écrit même une lettre à destination de son époux Antoine, lui demandant de veiller sur leurs enfants qu'elle ne pourra pas revoir.

  Le jour de l'exécution est fixé le 17 juillet 1676. Marie-Madeleine fait d'abord amende honorable devant le parvis de Notre-Dame, où elle avoue publiquement ses crimes. La foule est nombreuse, et la marquise craint de défaillir à chaque instant. Arrivée sur l'échafaud, elle demande à l'abbé Pirot, très ému par le courage de la prisonnière, de rester à ses côtés jusqu'au dernier moment. Compte tenu de son rang, Marie-Madeleine a d'abord la tête tranchée avant que son corps ne soit jeté au bûcher. Une grande émotion parcourt la foule, si bien que dès le lendemain, les badauds n'hésitent pas à venir récupérer les cendres de la marquise, la considérant comme une sainte.


                           Gravure du XVIIe siècle représentant l'exécution de madame de Brinvilliers

   L'arrestation, puis l'exécution de la marquise de Brinvilliers mettent à jour l'une des affaires criminelles les plus retentissantes du règne de Louis XIV, la fameuse Affaire des poisons. Revenons d'abord sur le cas de Marie-Madeleine d'Aubray. Sa culpabilité ne fait aucun doute. Cependant, en retraçant son existence qui ne fut pas toujours heureuse, on peut penser que son viol alors qu'elle était enfant a laissé chez elle des séquelles psychologiques importantes. Le rôle de Sainte-Croix n'est pas non plus négligeable. Il mourut de sa belle mort en 1672 et ne répondit jamais de ses actes. Sa confession que trouvèrent les autorités fut brûlée, par respect de la religion. Pourtant, ce personnage peu glorieux a certainement influencé sa maîtresse, en plus de mener un commerce actif des poisons. Car l'enquête qui suivra la mort de la marquise de Brinvilliers mettra à jour un vaste réseau où les devineresses, apothicaires, alchimistes de tous genres, rentabilisaient leurs affaires en vendant leurs poudres de successions. Une personne convoite l'héritage familial ou veut se débarrasser d'un conjoint encombrant? Le recours au poison s'avère idéal, d'autant plus que la médecine de l'époque ne détécte pas toujours sa présence après le décès de la victime.

  Cette affaire des poisons a compromis de hauts personnages. La duchesse de Soissons, le financier Pierre Louis Reich de Penautier (ami de madame de Brinvilliers et protégé de Colbert), et même la marquise de Montespan, maîtresse officielle de Louis XIV, qui aurait eu recours aux services d'une dénommée Catherine Deshayes, dite "La Voisin" pour des philtres d'amour et des messes noires. Cependant, certains points de l'enquête furent volontairement laissés de côté afin d'éviter un trop grand scandale. Beaucoup de gens de la noblesse compromis furent exilés, d'autres ne furent même pas inquiétés! Quant à la Voisin, elle fut brûlée vive en place de Grève.

  On ne pourra pas retirer ses crimes à la marquise de Brinvilliers. A sa charge, les malheurs subis dans son existence, mais aussi le repentir visiblement sincère qui l'anima dans les derniers mois de sa vie. Par delà le monstre qui choqua ses contemporains, il faut aussi voir la femme brimée, qui n'est que le reflet de l'époque troublée où elle vécut.