samedi 24 juillet 2010

La Marquise de Brinvilliers, le Grand Siècle et ses poisons. 1630-1676





              Marie-Madeleine de Brinvilliers dessinée par Lebrun le jour de son exécution (1676)

  Notre second portrait  nous ramène au XVIIe siècle, sous le règne de Louis XIV. Nous allons ici aborder le personnage de "la Brinvilliers". Ce nom vous évoque sans doute quelque chose, puisqu'il est lié à l'une des affaires criminelles les plus retentissantes du Grand Siècle. Il s'agit bien là de Marie-Madeleine d'Aubray, marquise de Brinvilliers, dont le nom est indisociablement lié à la fameuse Affaire des poisons, qui ébranla le règne de Louis XIV.

  Pourquoi un tel personnage dans cette galerie consacrée aux femmes illustres? Peut-être parce que en retraçant la vie de cette marquise au destin funeste, on ne peut s'empêcher de voir en elle un symbole de souffrance. Derrière la monstruosité de ses crimes se cache une femme profodément meurtrie.

  Marie-Madeleine d'Aubray est née en juillet 1630. Elle est la fille de Dreux d'Aubray, lieutenant civil à Paris. Elle naît dans une famille convenable, issue de la noblesse de robe, et reçoit une bonne éducation. Pourtant, sa vie a vite fait de basculer, puisqu'elle est violée à l'âge de sept ans par un domestique. Ce drame, qui a détruit son enfance et qui a sans doute énormément joué dans la conduite de sa vie future lui a entretenu une réputation sulfureuse, n'hésitant pas à lui prêter des relations incestueuses avec ses deux frères.

                      Dreux d'Aubray, lieutenant civil de Paris et père de la marquise de Brinvilliers


  En 1651, Marie-Madeleine épouse Antoine Gobelin, qui deviendra bientôt marquis de Brinvilliers. Le couple dispose alors de revenus considérables, avec notamment la propriété des seigneuries de Sains, Norat et Brinvilliers. Les témoignages d'époque décrivent Marie-Madeleine comme une femme petite et très menue, avec de grands yeux bleus, des cheveux châtains et des traits de visage réguliers. Son charme est sans nul doute renforcé par son éducation, plus que correcte. En effet, l'étude de plusieurs lettres écrites par Madame de Brinvilliers montrent une écriture soignée, en plus d'un très bon orthographe. Au XVIIe siècle, ce n'est pas négligeable pour une femme, d'autant plus que la majorité d'entre elles ne savent ni lire, ni écrire (dans le milieu de la noblesse en particulier!)
Marie-Madeleine se lie d'amitié avec Pierre Louis Reich de Penautier, trésorier des Etats du Languedoc (puis receveur général du clergé à partir de 1669.) On peut sans nul doute imaginer qu'elle apparaît comme une jeune femme brillante aux yeux de la bonne société.

  Cependant, elle ne tarde pas à faire la rencontre de Gaudin de Sainte-Croix, officier de cavalerie et ami de son époux, et ils deviennent rapidement amants. Antoine de Brinvilliers pour sa part, dilapide peu à peu la fortune du ménage en jouant au jeu et en entretenant ses diverses maîtresses. Le couple a néanmoins eut sept enfants (dont quatre illégitimes.)

  Toutefois, si la conduite de son époux ne choque pas outre mesure, celle de Marie-Madeleine ne tarde pas à offusquer son père. Au XVIIe siècle, l'adultère masculin est largement toléré, mais il n'en est pas de même pour les femmes, qui se doivent d'avoir une conduite irréprochable. C'est ainsi qu'en 1663, Dreux d'Aubray fait emprisonner Gaudin de Sainte-Croix à la Bastille. Là, il fait la connaissance de l'Italien Exili, expert en chimie et en poisons. Une fois sorti, Sainte-Croix suivra les cours du chimiste Christophe Glaser au jardin royal des plantes.

  On peut imaginer la colère de Marie-Madeleine lorsqu'elle apprend que son amant est emprisonné sur décision de son père. Lui en a t-elle voulu au point de le faire mourir? On ne sait pas réellement qui prit la décision, mais c'est vraisemblablement sous l'influence de son amant que la marquise décide d'empoisonner son père. Elle compte ainsi se libérer de la tutelle paternelle mais vise aussi l'héritage qui lui permettrait de renflouer ses dettes.
Il faut savoir qu'à l'époque, le poison apparait comme une cause de décès difficile à déterminer, puisque la médecine n'est pas encore assez développée.
C'est pendant un séjour au château d'Offémont, en 1666, que Marie-Madeleine avec la complicité d'un valet, administre du poison à son père, et ceci à diverses reprises. Pourtant, la succession paternelle se révèle dérisoire. Peu importe, la marquise décide ensuite d'empoisonner ses deux frères, qui meurent tous deux en 1670, à six mois d'intervalle!


                              Dessin du XIXe siècle représentant la marquise empoisonnant son père.

  Quelques soupçons apparaissent néanmoins. Plusieurs domestiques de madame de Brinvilliers rapporteront plus tard les situations incongrues auxquelles ils ont assisté malgré eux. C'est ainsi qu'un soir, une servante du nom de Jeanne Blanchard, alors qu'elle vient prendre les ordres de sa maîtresse dans sa chambre, la trouve en compagnie du chevalier de Sainte-Croix. La marquise fait malencontreusement tomber une petite boîte et s'exclame alors : "Oh! Ma boîte aux successions!". Sainte-Croix lui reproche alors son manque de discrétion. Un autre jour, suite à un dîner où elle a un peu bu, Marie-Madeleine s'entretient avec une autre de ses servantes, Edmée Huet et lui dit la chose suivante en lui montrant une petite boîte : "Voilà de quoi se venger de ses ennemis; elle est pleine de successions!". Mais elle se reprend peu après : "Bon Dieu! Que vous ai-je dit? Ne le répétez à personne!". Enfin, un jour où Marie-Madeleine s'entretient avec un certain LaChaussée (le valet qui aida à empoisonner ses frères), elle est obligée de le cacher dans sa chambre suite à l'arrivée improviste de Simon Cousté, le secrétaire de l'un de ses frères. Tout ceci bien entendu, sous les yeux des domestiques de la marquise.
En outre, elle commet l'imprudence de se confier à Jean Briancourt, le précepteur de ses enfants.
  D'après des témoignages ultérieurs, Marie-Madeleine aurait ensuite tenté d'empoisonner son époux Antoine de Brinvilliers, sa soeur Thérèse, et même sa fille aînée! Ces dernières tentatives sont cependant sujettes à caution, puisqu'elles ne sont pas prouvées.
Ce qui est sûr en revanche, c'est que la relation entre Marie-Madeleine et Sainte-Croix devient tumultueuse. Ce dernier prend alors soin de fermer dans une petite cassette des fioles et des lettres compromettantes de la marquise. Il y joint un mot : "A n'ouvrir qu'en cas de mort antérieure à celle de la Marquise".
  C'est en 1672 que meurt Jean-Baptiste Gaudin de Sainte-Croix, dans son lit, et non dans son laboratoire comme le veut la légende. Marie-Madeleine, qui est alors dans sa maison de campagne à Picpus n'a alors qu'une obsession : récupérer cette fameuse cassette qui pourrait l'incriminer. Pourtant, elle échoue à récupérer son bien, et après que le sergent Cluet en ait découvert le contenu, la marquise n'a d'autre choix que de s'enfuir, d'autant plus que le roi a lancé contre elle un mandat d'arrêt. L'un des complices, LaChaussée, a été arrêté et sous la menace de la torture, a avoué tous les crimes. Marie-Madeleine se réfugie d'abord en Angleterre, avant de gagner Liège, où elle atterrit dans un couvent. Une servante restée fidèle, Geneviève Bourgeois, l'accompagne dans son périple.

  Colbert, ministre de Louis XIV, est alors chargé d'une mission délicate : rapatrier la fugitive en France. C'est l'exempt de police François Desgrez, qui déguisé, parvient à pénétrer dans le couvent et à faire arrêter madame de Brinvilliers. Désemparée, la marquise tente à plusieurs reprises de se suicider, et se retrouve lors du retour sur Paris, sous une étroite surveillance. Marie-Madeleine est ensuite enfermée à la Conciergerie, au dernier étage de la tour Montgomery.

  Son procès est assez long, puisqu'il se déroule de avril à juillet 1676. Confrontée à ses juges, la marquise nie tout et refuse de passer aux aveux. Il y'a pourtant contre elle des preuves à priori accablantes : une confession écrite de sa main où elle avoue des crimes abominables, et où elle s'accuse entre autres des empoisonnements de son père et de ses frères, de sa relation adultère avec Sainte-Croix -précisant "d'avoir donné beaucoup de bien à cet homme et qu'il m'a ruinée."

  A cela s'ajoute le contenu de la fameuse cassette, et les témoignages de plusieurs domestiques de la marquise (dont certains demeurent toutefois sujets à caution.) Condamnée à subir la question puis à être exécutée, Marie-Madeleine se voit attribuer un confesseur : l'abbé Edme Pirot. Dans ses derniers jours à vivre, elle va alors faire preuve d'une grande piété et va manifester son repentir. On peut le juger sincère, lorsqu'on relit le témoignage que Pirot écrivit par la suite. Bien sûr, la peur de la mort et de la justice de Dieu ont certainement influencé la marquise; elle accepte alors les aveux auprès de ses juges, demande aux gens de la Conciergerie de prier pour elle. Elle écrit même une lettre à destination de son époux Antoine, lui demandant de veiller sur leurs enfants qu'elle ne pourra pas revoir.

  Le jour de l'exécution est fixé le 17 juillet 1676. Marie-Madeleine fait d'abord amende honorable devant le parvis de Notre-Dame, où elle avoue publiquement ses crimes. La foule est nombreuse, et la marquise craint de défaillir à chaque instant. Arrivée sur l'échafaud, elle demande à l'abbé Pirot, très ému par le courage de la prisonnière, de rester à ses côtés jusqu'au dernier moment. Compte tenu de son rang, Marie-Madeleine a d'abord la tête tranchée avant que son corps ne soit jeté au bûcher. Une grande émotion parcourt la foule, si bien que dès le lendemain, les badauds n'hésitent pas à venir récupérer les cendres de la marquise, la considérant comme une sainte.


                           Gravure du XVIIe siècle représentant l'exécution de madame de Brinvilliers

   L'arrestation, puis l'exécution de la marquise de Brinvilliers mettent à jour l'une des affaires criminelles les plus retentissantes du règne de Louis XIV, la fameuse Affaire des poisons. Revenons d'abord sur le cas de Marie-Madeleine d'Aubray. Sa culpabilité ne fait aucun doute. Cependant, en retraçant son existence qui ne fut pas toujours heureuse, on peut penser que son viol alors qu'elle était enfant a laissé chez elle des séquelles psychologiques importantes. Le rôle de Sainte-Croix n'est pas non plus négligeable. Il mourut de sa belle mort en 1672 et ne répondit jamais de ses actes. Sa confession que trouvèrent les autorités fut brûlée, par respect de la religion. Pourtant, ce personnage peu glorieux a certainement influencé sa maîtresse, en plus de mener un commerce actif des poisons. Car l'enquête qui suivra la mort de la marquise de Brinvilliers mettra à jour un vaste réseau où les devineresses, apothicaires, alchimistes de tous genres, rentabilisaient leurs affaires en vendant leurs poudres de successions. Une personne convoite l'héritage familial ou veut se débarrasser d'un conjoint encombrant? Le recours au poison s'avère idéal, d'autant plus que la médecine de l'époque ne détécte pas toujours sa présence après le décès de la victime.

  Cette affaire des poisons a compromis de hauts personnages. La duchesse de Soissons, le financier Pierre Louis Reich de Penautier (ami de madame de Brinvilliers et protégé de Colbert), et même la marquise de Montespan, maîtresse officielle de Louis XIV, qui aurait eu recours aux services d'une dénommée Catherine Deshayes, dite "La Voisin" pour des philtres d'amour et des messes noires. Cependant, certains points de l'enquête furent volontairement laissés de côté afin d'éviter un trop grand scandale. Beaucoup de gens de la noblesse compromis furent exilés, d'autres ne furent même pas inquiétés! Quant à la Voisin, elle fut brûlée vive en place de Grève.

  On ne pourra pas retirer ses crimes à la marquise de Brinvilliers. A sa charge, les malheurs subis dans son existence, mais aussi le repentir visiblement sincère qui l'anima dans les derniers mois de sa vie. Par delà le monstre qui choqua ses contemporains, il faut aussi voir la femme brimée, qui n'est que le reflet de l'époque troublée où elle vécut.

vendredi 23 juillet 2010

Sophonisbe, la reine sacrifiée. 235-203 av. J.-C.

                                                     Sophonisbe peinte par Matia Preti (détail) (1670)

Nous commençons notre galerie par un personnage peu connu du grand public. Il s'agit de Sophonisbe, princesse carthaginoise et reine de Numidie, qui a vécu au troisième siècle avant J.-C.
Sophonisbe est née en 235 av. J.-C. à Carthage, dans une période troublée. En effet, la grande cité africaine s'est trouvé une rivale de taille : la ville de Rome. Depuis plusieures décennies, les deux cités se disputent la suprématie commerciale, puis politique de la Méditerrannée occidentale. Ces guerres entre les deux puissances sont appelées les guerres puniques. Au nombre de trois, elles se sont déroulées de 264 à 146 av. J.-C.

Au terme de ce premier conflit, Carthage a perdu la suprématie de la mer au profit de Rome. La deuxième guerre punique, qui débute en 218 av. J.-C., est marquée par l'offensive du général carthaginois Hannibal Barca contre Rome. Parti d'Espagne (le sud de la péninsule ibérique se compose de colonies et de comptoirs appartenant à Carthage), Hannibal a traversé les Pyrénnées et les Alpes avec ses armées de mercenaires et ses éléphants (qui moururent pour une grande majorité au cours de ce périple). Arrivé en Italie, il a ensuite infligé de sérieuses défaites aux Romains, en particulier à Cannes, en 216 av. J.-C.

Sophonisbe est on l'a dit, née en 235 av. J.-C. Elle n'entre véritablement dans l'histoire que vers 206 av. J.-C., dans la dernière phase du conflit romano-carthaginois. Vu la pauvreté des sources grecques et romaines concernant Sophonisbe (et encore plus l'absence de sources carthaginoises!) nous ne savons rien son enfance et de sa vie à Carthage.
Sophonisbe appartient à la famille aristocratique des Gisconides. Son grand père Gisco a servi en tant que général pendant la première guerre punique, mais a connu un sort tragique en étant tué par des rebelles (la fameuse révolte des mercenaires). Son père Hasdrubal (ne pas confondre avec Hasdrubal Barca, le frère d'Hannibal) a commandé des troupes en Espagne jusqu'en 206 av. J.-C., après que les armées du général Scipion se soient peu à peu emparées de la péninsule ibérique.
D'après l'historien grec Diodore de Sicile (XXVII, 7) Sophonisbe avait reçu une éducation privilégiée en plus d'être renommée pour sa beauté ("A une juste proportion de toutes les parties du corps et à leur parfaite harmonie elle unissait la fleur de la jeunesse, une connaissance approfondie des lettres et de la musique, un esprit plein d'urbanité et de grâce.")

Lorsque Hasdrubal regagne l'Afrique en 206 av. J.-C., il lui faut a tout prix trouver des alliés. En effet, après avoir assuré la mainmise romaine sur l'Espagne, Scipion menace de débarquer avec ses légions pour porter la guerre sur le sol de Carthage. Hasdrubal décide alors de s'attirer la sympathie du roi numide Syphax. Les Numides représentent un ancien peuple d'Afrique du Nord qui entretenait des liens commerciaux et politiques avec Carthage. Ils étaient divisés en une multitude de chefs locaux. Cependant, même s'ils étaient nomades, des cités numides de première importance existaient déjà. Le port de Siga, capitale de Syphax est ainsi assez grand pour qu'Hasdrubal y croise la galère de Scipion, venu également solliciter l'alliance du roi. L'historien romain Tite-Live a rapporté la célèbre entrevue qui eut lieu au palais de Syphax. Les deux belligérants furent ainsi contraints de partager le même lit pour manger.


                                              Le roi numide Syphax (monnaie du IIIe siècle av. J.-C.)


Syphax se range finalement aux côtés des Carthaginois, et Hasdrubal pour sceller cette alliance, décide que sa fille épousera le roi numide. Face à ce revirement, Massinissa, un autre roi numide rival de Syphax et qui était jusque là allié à Carthage, décide de changer lui aussi de camp et d'offrir son soutien à Scipion, d'autant plus qu'il se retrouve dépossédé de son trône. Appien, historien grec, nous a rapporté que Sophonisbe était auparavant fiancée à Massinissa et qu'ils étaient épris l'un de l'autre. Dans l'hypothèse où les deux jeunes gens étaient promis l'un à l'autre, cela ne fait que conforter Massinissa dans son choix de rallier Rome.

                                             Le roi numide Massinissa (monnaie du IIe siècle av. J.-C.)


Les armées de Scipion finissent par accoster en Afrique (205 av. J.-C.), et affrontent les forces coalisées de Syphax et d'Hasdrubal. Si ces derniers ont d'abord l'avantage de la supériorité numérique, ils sont écrasés à la bataille des Grandes Plaines au début de l'année 203 av. J.-C. Scipion, bien secondé par Massinissa, profite de la nuit pour incendier les camps de l'ennemi et provoquer leur déroute.

Syphax, qui a pourtant reçu plusieurs émissaires de Scipion monte -sans doute sur les supplications de Sophonisbe- une nouvelle armée, et se retrouve une nouvelle fois vaincu. Pire encore, il est capturé par son rival Massinissa. Le roi déchu est ensuite ramené jusqu'aux portes de sa capitale de Cirta. Là, les habitants terrorisés décident d'ouvrir les portes de la ville au vainqueur. Arrivé au palais, Massinissa retrouve Sophonisbe. La plus grande crainte de la reine est de tomber aux mains des Romains, aussi lui demande t-elle sa protection. Massinissa décide alors de l'épouser sur le champ. Il pense ainsi qu'elle sera intouchable. Laelius, le lieutenant de Scipion arrive à son tour à Cirta, et désapprouve immédiatement ce mariage. Suite à une entrevue avec Syphax, Scipion décide de convoquer Massinissa et lui demande de renoncer à Sophonisbe. Le roi numide choisit alors de sacrifier sa nouvelle épouse à la politique (n'avait t-elle pas auparavant été sacrifiée pour les intérêts de Carthage en épousant Syphax?). Sophonisbe ne possède plus de recours. Il ne lui reste qu'à envisager la mort, seule condition pour ne pas se trouver rabaissée face à l'ennemi en perdant sa dignité royale. La légende veut que Massinissa lui ait fait parvenir une coupe de poison par l'intérmédiaire d'un serviteur. Toujours est t-il que meurt en juin 203 av. J.-C. la belle Sophonisbe. Son histoire sera reprise dans les siècles à venir par de nombreux artistes de la Renaissance, mais aussi par de nombreux tragédiens : Jean Mairet, Corneille, John Marston, ou encore Voltaire pour ne citer qu'eux.

                                                 La mort de Sophonisbe (tableau attribué à Devosge).

Suite à ce dénouement tragique, il convient de s'arrêter un instant sur la prétendue influence de Sophonisbe sur Syphax et Massinissa. Pour de nombreux historiens grecs et romains, la fille d'Hasdrubal aurait par ses charmes convaincu Syphax de demeurer dans l'alliance carthaginoise. Ils insistent en outre sur son patriotisme et sur la haine farouche de la reine envers Rome.
Ce portrait de Sophonisbe appartient à l'historiographie romaine, très défavorable aux Carthaginois. Il est donc à relativiser. L'historienne M. Coltelloni-Trannoy (Le royaume de Maurétanie sous Juba II et Ptolémée, Paris, 1997) lorsqu'elle évoque le statut royal des reines hellénistiques et africaines, rapelle ainsi que Rome considérait les reines comme de simples sujets de leurs époux et ne leur reconnaissait aucun pouvoir politique. Sophonisbe, après la capture de Syphax, devient ainsi la propriété du peuple romain, au même titre que n'importe quel autre sujet du souverain. Quant à l'épisode que Tite-Live rapporte au à propos de Sophonisbe et Massinissa, il est également sujet à caution. Sophonisbe représente l'attrait de l'Orient phénicien, propre à séduire un "barbare numide", démontrant le caractère versatile de Massinissa, que seul Scipion parviendra à raisonner et à remettre dans le droit chemin. Au sujet de cet épisode final de la vie de Sophonisbe, on ne peut qu'imaginer sa terreur de tomber aux mains de l'ennemi, et son suicide, même s'il est considéré comme un acte de grand courage pour une reine (à juste titre d'ailleurs) révèle avant tout une situation désespérée. Aussi en ce sens, Sophonisbe est une reine doublement sacrifiée et par l'homme qui l'aimait (Massinissa) et par l'Histoire, qui ne semble avoir retenu en elle qu'une séductrice et manipulatrice.




































Pourquoi ce blog?

Je commence la rédaction de ce blog pour deux raisons essentielles : tout d'abord, ma passion pour l'écriture, ce besoin de raconter, de relater des événements. La deuxième raison est aussi de faire partager mon goût pour l'Histoire, en particulier celle des femmes, personnages trop souvent négligés et d'ordinaire reléguées au second plan. Pourtant, elles sont nombreuses à avoir contribué à des évènements majeurs de l'Histoire, ceci toutes époques et civilisations confondues.
Je ne prétends pas relater l'histoire des femmes en général, ce qui serait une tâche fastidieuse, d'autant plus que depuis plusieurs décénnies, les historiens commencent à traiter de ce sujet. Mon initiative est plus modeste, mais n'en demeure pas moins passionnante à découvrir des destins de femmes parfois peu connus, mais qui sortent de l'ordinaire. Ce blog consistera à donner une galerie de personnages féminins qui me paraissent primordiaux de par leurs rôles dans l'Histoire.

Qui sont les femmes illustres?

Le terme d'illustre renvoie à quelque chose de grand, de noble. De manière générale, pour parler de femmes illustres, on peut penser à Jeanne d'Arc, Cléopâtre, Catherine de Médicis, Madame de Sévigné, et bien d'autres dont l'Histoire a retenu le nom. Pourtant, ce blog tâchera également d'accorder une place privilégiée à ces femmes de l'ombre, celles dont nous connaissons le nom, mais que l'Histoire a peu a peu laissé de côté. Qui se souvient de Sophonisbe la princesse carthaginoise, de Marie-Thérèse d'Autriche épouse de Louis XIV ou même de Madame du Barry, maîtresse de Louis XV qui succéda à la Pompadour?
A chaque portrait abordé, nous tâcherons de voir ce qui rend toutes ces femmes illustres. Certaines ont marqué leur époque, d'autres on régné, enfin d'autres sont entrées dans une semi-légende. C'est le cas par exemple de femmes souvent méprisées et décriées de leur époque et dont leur contemporains ont laissé des portraits qui sont bien loin de la réalité historique (par exemple l'historiographie romaine défavorable envers Cléopâtre et qui a terni son image auprès des érudits et des historiens pendant plusieurs siècles). Nous ne manquerons pas de présenter à chaque fois le contexte historique dans lequel évolue chaque personnage; d'une part afin de le situer, mais aussi pour aborder d'autres questions tout aussi intéressantes.

Bonne lecture!