vendredi 23 juillet 2010

Sophonisbe, la reine sacrifiée. 235-203 av. J.-C.

                                                     Sophonisbe peinte par Matia Preti (détail) (1670)

Nous commençons notre galerie par un personnage peu connu du grand public. Il s'agit de Sophonisbe, princesse carthaginoise et reine de Numidie, qui a vécu au troisième siècle avant J.-C.
Sophonisbe est née en 235 av. J.-C. à Carthage, dans une période troublée. En effet, la grande cité africaine s'est trouvé une rivale de taille : la ville de Rome. Depuis plusieures décennies, les deux cités se disputent la suprématie commerciale, puis politique de la Méditerrannée occidentale. Ces guerres entre les deux puissances sont appelées les guerres puniques. Au nombre de trois, elles se sont déroulées de 264 à 146 av. J.-C.

Au terme de ce premier conflit, Carthage a perdu la suprématie de la mer au profit de Rome. La deuxième guerre punique, qui débute en 218 av. J.-C., est marquée par l'offensive du général carthaginois Hannibal Barca contre Rome. Parti d'Espagne (le sud de la péninsule ibérique se compose de colonies et de comptoirs appartenant à Carthage), Hannibal a traversé les Pyrénnées et les Alpes avec ses armées de mercenaires et ses éléphants (qui moururent pour une grande majorité au cours de ce périple). Arrivé en Italie, il a ensuite infligé de sérieuses défaites aux Romains, en particulier à Cannes, en 216 av. J.-C.

Sophonisbe est on l'a dit, née en 235 av. J.-C. Elle n'entre véritablement dans l'histoire que vers 206 av. J.-C., dans la dernière phase du conflit romano-carthaginois. Vu la pauvreté des sources grecques et romaines concernant Sophonisbe (et encore plus l'absence de sources carthaginoises!) nous ne savons rien son enfance et de sa vie à Carthage.
Sophonisbe appartient à la famille aristocratique des Gisconides. Son grand père Gisco a servi en tant que général pendant la première guerre punique, mais a connu un sort tragique en étant tué par des rebelles (la fameuse révolte des mercenaires). Son père Hasdrubal (ne pas confondre avec Hasdrubal Barca, le frère d'Hannibal) a commandé des troupes en Espagne jusqu'en 206 av. J.-C., après que les armées du général Scipion se soient peu à peu emparées de la péninsule ibérique.
D'après l'historien grec Diodore de Sicile (XXVII, 7) Sophonisbe avait reçu une éducation privilégiée en plus d'être renommée pour sa beauté ("A une juste proportion de toutes les parties du corps et à leur parfaite harmonie elle unissait la fleur de la jeunesse, une connaissance approfondie des lettres et de la musique, un esprit plein d'urbanité et de grâce.")

Lorsque Hasdrubal regagne l'Afrique en 206 av. J.-C., il lui faut a tout prix trouver des alliés. En effet, après avoir assuré la mainmise romaine sur l'Espagne, Scipion menace de débarquer avec ses légions pour porter la guerre sur le sol de Carthage. Hasdrubal décide alors de s'attirer la sympathie du roi numide Syphax. Les Numides représentent un ancien peuple d'Afrique du Nord qui entretenait des liens commerciaux et politiques avec Carthage. Ils étaient divisés en une multitude de chefs locaux. Cependant, même s'ils étaient nomades, des cités numides de première importance existaient déjà. Le port de Siga, capitale de Syphax est ainsi assez grand pour qu'Hasdrubal y croise la galère de Scipion, venu également solliciter l'alliance du roi. L'historien romain Tite-Live a rapporté la célèbre entrevue qui eut lieu au palais de Syphax. Les deux belligérants furent ainsi contraints de partager le même lit pour manger.


                                              Le roi numide Syphax (monnaie du IIIe siècle av. J.-C.)


Syphax se range finalement aux côtés des Carthaginois, et Hasdrubal pour sceller cette alliance, décide que sa fille épousera le roi numide. Face à ce revirement, Massinissa, un autre roi numide rival de Syphax et qui était jusque là allié à Carthage, décide de changer lui aussi de camp et d'offrir son soutien à Scipion, d'autant plus qu'il se retrouve dépossédé de son trône. Appien, historien grec, nous a rapporté que Sophonisbe était auparavant fiancée à Massinissa et qu'ils étaient épris l'un de l'autre. Dans l'hypothèse où les deux jeunes gens étaient promis l'un à l'autre, cela ne fait que conforter Massinissa dans son choix de rallier Rome.

                                             Le roi numide Massinissa (monnaie du IIe siècle av. J.-C.)


Les armées de Scipion finissent par accoster en Afrique (205 av. J.-C.), et affrontent les forces coalisées de Syphax et d'Hasdrubal. Si ces derniers ont d'abord l'avantage de la supériorité numérique, ils sont écrasés à la bataille des Grandes Plaines au début de l'année 203 av. J.-C. Scipion, bien secondé par Massinissa, profite de la nuit pour incendier les camps de l'ennemi et provoquer leur déroute.

Syphax, qui a pourtant reçu plusieurs émissaires de Scipion monte -sans doute sur les supplications de Sophonisbe- une nouvelle armée, et se retrouve une nouvelle fois vaincu. Pire encore, il est capturé par son rival Massinissa. Le roi déchu est ensuite ramené jusqu'aux portes de sa capitale de Cirta. Là, les habitants terrorisés décident d'ouvrir les portes de la ville au vainqueur. Arrivé au palais, Massinissa retrouve Sophonisbe. La plus grande crainte de la reine est de tomber aux mains des Romains, aussi lui demande t-elle sa protection. Massinissa décide alors de l'épouser sur le champ. Il pense ainsi qu'elle sera intouchable. Laelius, le lieutenant de Scipion arrive à son tour à Cirta, et désapprouve immédiatement ce mariage. Suite à une entrevue avec Syphax, Scipion décide de convoquer Massinissa et lui demande de renoncer à Sophonisbe. Le roi numide choisit alors de sacrifier sa nouvelle épouse à la politique (n'avait t-elle pas auparavant été sacrifiée pour les intérêts de Carthage en épousant Syphax?). Sophonisbe ne possède plus de recours. Il ne lui reste qu'à envisager la mort, seule condition pour ne pas se trouver rabaissée face à l'ennemi en perdant sa dignité royale. La légende veut que Massinissa lui ait fait parvenir une coupe de poison par l'intérmédiaire d'un serviteur. Toujours est t-il que meurt en juin 203 av. J.-C. la belle Sophonisbe. Son histoire sera reprise dans les siècles à venir par de nombreux artistes de la Renaissance, mais aussi par de nombreux tragédiens : Jean Mairet, Corneille, John Marston, ou encore Voltaire pour ne citer qu'eux.

                                                 La mort de Sophonisbe (tableau attribué à Devosge).

Suite à ce dénouement tragique, il convient de s'arrêter un instant sur la prétendue influence de Sophonisbe sur Syphax et Massinissa. Pour de nombreux historiens grecs et romains, la fille d'Hasdrubal aurait par ses charmes convaincu Syphax de demeurer dans l'alliance carthaginoise. Ils insistent en outre sur son patriotisme et sur la haine farouche de la reine envers Rome.
Ce portrait de Sophonisbe appartient à l'historiographie romaine, très défavorable aux Carthaginois. Il est donc à relativiser. L'historienne M. Coltelloni-Trannoy (Le royaume de Maurétanie sous Juba II et Ptolémée, Paris, 1997) lorsqu'elle évoque le statut royal des reines hellénistiques et africaines, rapelle ainsi que Rome considérait les reines comme de simples sujets de leurs époux et ne leur reconnaissait aucun pouvoir politique. Sophonisbe, après la capture de Syphax, devient ainsi la propriété du peuple romain, au même titre que n'importe quel autre sujet du souverain. Quant à l'épisode que Tite-Live rapporte au à propos de Sophonisbe et Massinissa, il est également sujet à caution. Sophonisbe représente l'attrait de l'Orient phénicien, propre à séduire un "barbare numide", démontrant le caractère versatile de Massinissa, que seul Scipion parviendra à raisonner et à remettre dans le droit chemin. Au sujet de cet épisode final de la vie de Sophonisbe, on ne peut qu'imaginer sa terreur de tomber aux mains de l'ennemi, et son suicide, même s'il est considéré comme un acte de grand courage pour une reine (à juste titre d'ailleurs) révèle avant tout une situation désespérée. Aussi en ce sens, Sophonisbe est une reine doublement sacrifiée et par l'homme qui l'aimait (Massinissa) et par l'Histoire, qui ne semble avoir retenu en elle qu'une séductrice et manipulatrice.




































28 commentaires:

  1. Merci bcp cet article m'a beaucoup aidé pour mes recherches que je devais faire pour un exposé sur cette reine !!

    RépondreSupprimer
  2. Article tres interessant!

    RépondreSupprimer
  3. Léa et Capucine.27 novembre 2012 à 15:12

    merci beaucoup, vous nous avez beaucoup inspiré pour notre exposé de Latin, sur cette reine!

    RépondreSupprimer
  4. Je vous remercie d'avoir écrit cet article trés intéressant et qui m'aidera beaucoup pour mon exposé de Latin !

    RépondreSupprimer
  5. il sert vraiment bien pour les exposés en latin... merci cela m'a facilité mes recherches pour mon exposé!!!

    RépondreSupprimer
  6. Pouvez-vous me faire joindre vos exposés sur Sophonisbe
    merci d'avance

    RépondreSupprimer
  7. Super article !! Rien à dire, total respect ;)

    RépondreSupprimer
  8. Article très intéressant qui nous a aidées pour nos recherches de latin. Merci!

    RépondreSupprimer
  9. article plutot interressant car il est riche en informations.

    RépondreSupprimer
  10. Bonjour,
    Merci pour cet article très complet et très clair qui me fait mieux comprendre le film Cabiria que je suis en train d'étudier (pour mon plaisir personnel) Merci beaucoup !!! Marie-Claire Andrieux

    RépondreSupprimer
  11. Super site pour expose de latin!!!

    RépondreSupprimer
  12. Les numides n'étaient point barbares. Juste guerriers.
    Je suis Numide ✌✊

    RépondreSupprimer
  13. Merci ce fut très instructif pour notre travail hihi

    RépondreSupprimer
  14. merci pour cet article! il est extra!

    RépondreSupprimer
  15. Cet article nous a beaucoup aidées dans nos recherches assidues. Merci pour cet article de type qualitatif !

    RépondreSupprimer
  16. Mon prenom cest syphax

    RépondreSupprimer